LES COMBATS DE VESLES-ET-CAUMONT

Le Bataillon du Pacifique dans la Grande Guerre par le Colonel de BUTTET

Le BMP avait été créé en avril 1916. Il existait en 1914 à Nouméa deux compagnies et à Papeete un peloton d'infanterie coloniale. Ces unités avaient été chargées de sa mise sur pied. Nous savons que des volontaires s'étaient spontanément engagés dès la déclaration de guerre et qu'ils se battaient déjà au chemin des Dames, à Salonique, à Verdun.

Unité d'étapes, le BMP fut embarqué le 4 juin 1916 à Nouméa sur le vapeur
Gange. Il comprenait deux compagnies composées de six cents [tirailleurs], natifs de la Nouvelle-Calédonie, et de Tahitiens, dont la douceur de caractère est légendaire. « Te haere nei au e... » chantaient-ils au départ dans leur mélopée créée à cette occasion...

Là-bas sous le ciel bleu...
je m'en vais dans l'inconnu,
comme le visiteur pour disparaître dans l'horizon du monde...
Non que je veuille disparaître pour toujours...
ce ne sera pas pour un long temps...
car je suis sûr de la Victoire » :
Soerano o Tahiti…
Salut à toi o Tahiti ma terre,...
reste dans ta quiétude,
nous partons pour aider notre mère... »


Mais cette douceur de caractère qui s'exprimait en langage poétique n'excluait pas la bravoure et les vertus guerrières. Les tirailleurs du Pacifique allaient le montrer ; le bataillon d'étapes, progressivement transformé en bataillon de marche et entraîné à la guerre, allait devenir un bataillon de choc qui, au jour du combat - le 25 octobre 1918 - allait avoir son heure de gloire.


Dès son débarquement en France (le 11 août 1916), installé au camp de Boulouris, il avait été d'abord mis à la disposition de la Commission des Ports pour le chargement des bateaux destinés à l'Armée d'Orient. Mais à partir d'avril 1917, devenu bataillon de marche, il s'était renforcé des 3ème et 4ème compagnies, grâce à un renfort de cinq cents Tahitiens ; s'était complété d'une compagnie de mitrailleurs, d'une SHR et d'une compagnie de dépôt. Sous les ordres du commandant TROUILH, il avait reçu une instruction très poussée.


En août 1917, il avait été envoyé au front, et après une période d'entraînement intensif avait été rattaché à la 72ème division sur le front de Champagne et employé tout d'abord à des travaux d'organisation de la position. A la fin d'octobre 1917, à l'approche de la saison froide, le BMP avait été renvoyé dans le Midi. Au camp de Darboussières, puis de Boulouris, il avait repris l'entraînement au combat.

L'année 1918 par le Colonel de BUTTET

En juin 1918, il avait rejoint à nouveau le front et avait été rattaché encore une fois à la 72ème DI engagée alors dans la bataille du Matz.

Puis, en juillet 1918, était entré dans la composition d'un détachement de poursuite. Au cours de multiples actions, il avait subi des pertes : plus de vingt tués et cent vingt blessés.

Le 17 août un nouveau chef, le commandant GONDY, avait pris le commandement du BMP et constitué avec les 2ème, 3ème compagnies et la CM, avec aussi les 6ème et 7ème compagnies du 418ème RI, un groupement mixte qui avait pris part à l'attaque du plateau de Pasly.

Le bataillon, reformé à la fin du mois d'août avait à nouveau été employé par fractions dans le secteur que tenait la 72ème DI devant Jouy et Aizy [Aisne] et participé à l'action en direction de l'Ailette, avec le 164ème RI, avec le 1er Régiment Mixte, avec le 365ème RI. Ses unités s'étaient aguerries.

Octobre 1918 par le Colonel de BUTTET

Le 20 octobre, regroupé tout entier à Athies [aujourd'hui Athies-sous-Laon dans l'Aisne], il retrouvait sa personnalité et, combattant, réuni pour la première fois, sous le commandement de son chef, le commandant GONDY, il allait montrer dans la bataille de la Serre qu'il était devenu une unité de combat de premier ordre. Rares sont les témoignages concernant la prise de Vesles et Caumont.

Le Journal de Marche du bataillon, très discrètement, renvoie le lecteur à un rapport circonstancié qui n'a pu être retrouvé. Pourtant les archives du 164ème RI, de l'ID 72, de la 72ème DI et des échelons supérieurs du commandement permettent de mettre en lumière ce qui constitue un authentique fait d'armes dont les anciens du BMP sont fiers à juste titre.

Le 22 octobre, l'ennemi commençait à se replier à l'est derrière la zone des marais de la Souche sur la Hunding Stellung. Toutes les tentatives faites par la 72ème DI pour traverser la Souche avaient été vouées à l'insuccès.

L'attaque de Pierrepont par [le] 365ème RI avait échoué : le village était furieusement défendu.

Dans le cadre de la 72ème DI, le BMP, demeuré jusque-là en réserve de DI à Athies, est mis avec le I/164ème RI aux ordres du lieutenant-colonel LEYRAUD, pour former un groupement, appuyé par la 28ème batterie du 261ème RAC.

A partir de 12h30, le Bataillon progresse pour se mettre en place par dépassement du III/164ème RI à la nuit, entre la cote 81 et la ferme de Savy (que tient le V/365ème RI).

C'est par Favières, au nord, que sera tenté le passage en force le lendemain 23, en direction de la Serre. Mais, le 23, seule une compagnie du 25ème BCP parviendra à franchir la Souche par surprise et se trouvera bloquée, comme les patrouilles de contact, par une véritable barrière de feu. Le même jour l'attaque de Pierrepont est reprise en vain par le 365ème RI, le matin, puis l'après-midi. Elle est renouvelée sans résultat...

C'est le 24 octobre au soir que le passage de la Souche est décidé, par la zone des Marais... en même temps que par Favières... Dans la journée l'artillerie s'efforce de créer des brèches dans les réseaux couvrant le Petit-Caumont... et la cote 79, et de détruire les ouvrages ennemis de mamelon de la cote 65 qui domine à l'est de Pierrepont.

Mission du BMP par le Colonel de BUTTET

La 72ème DI a pour mission de forcer le passage des marais par Vesles-et-Caumont et par Pierrepont, puis de continuer l'action offensive et la poursuite dans la direction générale. Goudelancourt - Montigny-le-Franc. L'attaque commencera le 25 octobre au matin (heure H : 5h50) : elle sera appuyée par un barrage roulant progressant de 100 mètres en 3 minutes.
Le BMP devra s'emparer de la ligne des tranchées nord de Vesles-et-Caumont, puis se déployer à l'est en tournant la cote 79 par le nord pour ouvrir la voie au 365ème RI qui débouchera de Pierrepont...

L'assaut sur Vesles-et-Caumont par le Colonel de BUTTET

Vesles-et-Caumont - SHA ©

Il s'agit de traverser d'abord la zone marécageuse, le canal, puis la Souche, pour gagner la base de départ : et c'est dans la nuit une entreprise très difficile que de passer les marais, qu'ont grossi les pluies des jours précédents ! Les tirailleurs du Pacifique, dans l'obscurité et le froid, entrent hardiment dans l'eau glacée de cette zone qui s'étend sur 1 500 mètres... problème d'orientation pour les chefs de section, problème de résistance pour tous...


La traversée du canal de la Buze, celle de la Souche - sans passerelle du génie - demandent du courage et de la détermination. Les hommes, de leurs corps, font une sorte de pont sur lequel les autres passent... sans bruit... Mais il faudra de l'aide aux premiers pour pouvoir en sortir, car aux derniers passages l'eau monte à leurs épaules tant ils ont enfoncé... C'est ensuite le ralliement et la mise en place en silence sur la base de départ.


A 5h50 comme prévu, le Bataillon s'élance précédé du barrage d'artillerie... Mais l'ennemi - d'abord surpris - déclenche bientôt sur nos troupes un très violent tir de mortiers et les mitrailleuses prennent à parti les premières vagues. Pendant un moment tout le monde reste cloué sur place... les premiers blessés tombent... Mais sur l'énergique impulsion des officiers, l'assaut est mené : à 9 heures Vesles-et-Caumont est atteint, et enlevé, malgré la résistance acharnée de l'ennemi. Les dernières résistances sont liquidées par les grenadiers. Les compagnies, regroupées, ne vont pas s'arrêter là : la ferme du Petit-Caumont, organisée en point d'appui, tire encore sur les lisières nord du village.

[voir carte ci-contre : les positions en bleu du BMP avant l'assaut, en rouge les positions reprises à l'ennemi]

A 10 heures, au son des clairons du Bataillon qui sonnent la charge, le Petit-Caumont est enlevé à la baïonnette... Et déjà la manœuvre se poursuit vers cet autre redoutable point d'appui de la cote 79..., qui domine la zone de combat : c'est une nouvelle attaque à monter, sous la protection des mitrailleuses, et des VB, les compagnies s'infiltrent et de haute lutte s'emparent vers 15 heures du point d'appui, y font des prisonniers et prennent des mitrailleuses. Du coup les défenseurs du mamelon de la cote 65 qui interdisent le débouché de Pierrepont sont pris à revers...


L'ennemi réagit et déclenche vers 17 heures sur nos positions une très violente contre-attaque, menée par de gros effectifs, et appuyée par de nombreuses mitrailleuses. Sans fléchir sous l'effort ennemi les positions atteintes sont difficilement mais intégralement conservées...


Or c'est la clef de la ligne Hunding qui est entre nos mains...

Relève du Bataillon par le Colonel de BUTTET

Les combats se poursuivront les jours suivants : tandis que le 26 [octobre] au soir le BMP, qui a besoin de se refaire, est placé en réserve à la ferme d'Etrepoix... Sa carrière d'unité combattante a pris fin : elle s'est achevée par une action d'éclat qui, dans la bataille de la Serre, a été de conséquence...


Ramené à l'arrière, le BMP est au repos à Bucy-les-Pierrepont le 11 novembre quand sonnent les clairons de la Victoire. Il s'embarque pour la zone méditerranéenne le 19 novembre, séjourne au camp de Valescure golfe. Il sera dissous le 10 mai 1919 et les tirailleurs seront rapatriés sur l'El Kantara... vers leurs îles natales.

Bilan des combats par le Colonel de BUTTET

Le BMP avait montré de telles qualités de bravoure et d'énergie que le général MANGIN, voulant le récompenser de sa belle conduite, accordait le 27 octobre aux militaires « non blessés présents à leur unité » : deux croix de la Légion d'Honneur, six Médailles Militaires, douze citations à l'ordre de l'Armée, vingt à l'ordre du Corps d'Armée, quarante à l'ordre de la Division... pour la seule journée du 25 octobre, et nous avons retrouvé trace de trente-neuf autres citations accordées à l'ordre du Régiment...


Nous n'avons malheureusement pas la collection complète des ordres généraux où figurent les citations individuelles. Nous avons retrouvé pourtant les noms de TANTUMOERORA A TENARAI, le coureur intrépide, qui assura la liaison entre le commandant GONDY et les éléments avancés, des DAO VAN BIEN, des POPERONO, des PALRIA A PAPA, des VIRITNA A TETUANIU, avec ceux des fameux clairons comme TEVAEA A TEVAERAI dit RAIARII, qui sous les ordres du sergent-major clairon GOUBIN sonnèrent la charge pour l'assaut du Petit-Caumont...


Le commandant GONDY était fait officier de la Légion d'Honneur en ces termes : « A pris en main le BMP, qui n'avait encore pris part à aucune attaque, en a fait une unité de premier ordre, à sa tête avec un brio magnifique, les clairons sonnant la charge, a enlevé d'un seul élan Vesles-et-Caumont... »

Le 10 décembre une citation collective à l'ordre de l'armée était décernée au BMP :

« Le 25 octobre 1918, sous les ordres de chef, le commandant GONDY, s'est porté d'un élan et sous un violent bombardement à l'attaque du village de Vesles Caumont et fortement occupé et garni de mitrailleuses dont il s'est emparé de haute lutte. Continuant sa progression au son de la charge sonnée par tous les clairons du bataillon, a enlevé la ferme du Petit-Caumont et, se jetant vers sa droite, s'est emparé d'un d'appui important. Fortement contre-attaqué dans la soirée, a maintenu intacte la position conquise. Dans la journée a fait cinquante prisonniers, trente mitrailleuses lourdes et légères et deux fusils antitanks. »

Devoir de mémoire par le Colonel de BUTTET

Les années ont passé. Malgré la campagne de 1939-1940, le village de Vesles-et-Caumont s'est relevé de ses cendres et de ses ruines. A côté de la vieille église, miraculeusement sauvée, la pierre sculptée d'un grand portail montre encore les blessures béantes que lui a faites la mitraille...


Les tranchées et les abris ont été comblés partout. La nature a pris sa revanche et dans la plaine, autour de la ferme du Petit-Caumont, et de la hauteur qui fut la cote 79, à perte de vue ondule le blé des moissons nouvelles. Mais à la fin des octobres, au bas du village, lorsque de la Souche et des marécages qui le bordent s'élève le brouillard des petits matins, les anciens évoquent le souvenir et l'écho assourdi des clairons du Bataillon du Pacifique sonnant l'attaque sous le claquement des mitrailleuses et les chants nostalgiques des gars du Pacifique qui les ont délivrés.


Et là-bas, dans les îles, aux 14 juillet, les Tahitiens du BMP, de moins en moins nombreux hélas, se retrouvent chaque année à la Maison du combattant pour évoquer leurs souvenirs et, sous la conduite de « THIOTI » Sage, reprendre les chants qui, il y a bientôt cinquante ans, les accompagnaient sur la terre de France : « o Tahiti tan ai a hère ».

Source : Le Bataillon du Pacifique de la Grande Guerre, Colonel de BUTTET, Revue historique de l'armée, n° 3, pp 119 à 123, 1965.

Vesles-et-Caumont, aujourd'hui...

Vesles-et-Caumont et
Pierrepont vus du ciel
Monument aux morts de
Vesles-et-Caumont
Stèle à la mémoire des soldats du
Bataillon Mixte du Pacifique
© Google Earth
© Mairie de Vesles & Caumont
© Mairie de Vesles & Caumont

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